Une journée familiale chez Courbet, "Face à face" avec Yan Pei Ming
03 nov. 2019Cet été, a eu lieu dans le Doubs, à Ornans, une exposition mettant « face à face » le peintre du XIXe siècle, maître du mouvement Réaliste, Gustave Courbet (1819-1877) et le peintre franco-chinois, reconnu internationalement, Yan Pei Ming. Il s’agissait de fêter en 2019 le bicentenaire de la naissance de Gustave Courbet, dans son musée à Ornans, charmante petite ville de 4400 habitants dans le Doubs, au bord de la rivière La Loue.
J'ai pu accompagner une « journée familiale » organisée par ATD Quart Monde autour de cette exposition. Les membres d’ATD Franche Comté (Dole et Poligny) se sont retrouvés pour un pique-nique à la Ferme de Courbet dans le village de Flagey.

Dans cette maison familiale des Courbet on peut trouver un joli jardin, un café littéraire, un préau pour pique-niquer et des expositions temporaires commentées.
Nous avons bénéficié d'une explication à propos de « L’enterrement à Ornans », toile monumentale qui a fait scandale en 1850, car elle avait contre elle de présenter une scène de la vie quotidienne, avec des personnes simples, paysans ou ouvriers, alors que les grands formats étaient destinés à des scènes bibliques, historiques ou présentant des personnalités célèbres. Ce tableau est actuellement au Musée d’Orsay et le peintre Yan Pei Ming a créé également pour l’occasion l’enterrement à Shangaï.
L’après-midi nous sommes allés à Ornans, jolie ville natale de Courbet, où le Musée Courbet a été installé dans la maison d’enfance du peintre, au bord de la rivière La Loue.
Ce fut un double choc, d’abord le choc de découvrir les œuvres de Gustave Courbet, dont certaines ont fait scandale à l’époque du XIXe siècle où la bourgeoisie et l’académisme régnaient sur les salons de peinture. Certains tableaux ont été jugés indécents, on ne parle pas de « La naissance du monde » qui est resté caché jusqu’en 1995, mais d’autres, présentant des scènes de la vie quotidienne à la campagne, des portraits de gens ordinaires ou de scènes de chasse.

En 1850, le monde est en train de changer, la classe ouvrière émerge de la naissance de ce monde industriel, des progrès techniques, du travail grandissant dans les usines et manufactures. Courbet est au centre de ces bouleversements, mais il ne fait pas l’unanimité, il est refusé aux Salons jusqu’en 1850. Soutenu enfin par quelques critiques, financé par un mécène, recherché en Europe par Berlin et Vienne, encouragé par un ensemble d’amateurs, il finira par exposer aux Salons de l‘Exposition Universelle de 1867 à Paris et vendra un de ses tableaux à l’État. Mais il organisera des expositions personnelles où il montrera au public un grand nombre de ses toiles. Puis il s’engagera politiquement au moment de la Commune.

Le second choc est venu en découvrant les œuvres de Yan Pei Ming qui faisaient face à celles de Courbet. Cette confrontation a permis de mieux comprendre le Réalisme du peintre français. Yan Pei Ming est un grand admirateur de Courbet depuis sa jeunesse et de la peinture occidentale en général. A 20 ans, il quitte la Chine et les peintures de propagande maoïstes pour faire ses études à l’École des Beaux-Arts de Dijon. L’art contemporain ne reconnaît plus la technique de la peinture réaliste mais Yan Pei Ming continue à peindre des portraits en grand format, avec de grandes brosses et de la peinture à l’huile, souvent en noir et blanc. Il représente des personnages connus et s’impose par une peinture énergique, à contre-courant, sensible et remplie d’une grande intensité émotionnelle.
Les autoportraits de Courbet font face aux autoportraits du peintre chinois. Ils sont pour ce dernier des rappels du temps qui passe inexorablement. Il peint également de grands hommes comme Victor Hugo que Courbet avait rencontré et dont il regrettait de n’avoir pas fait le portrait. En Chine, Courbet est renommé et reconnu comme peintre révolutionnaire. Yan Pei Ming l’a connu à travers un article de propagande dans un œuvre imprimée en noir et blanc.

À partir de 1871, Courbet s’était en effet engagé dans la Commune de Paris. Il sera soupçonné d’avoir participé à la destruction de la colonne Vendôme, symbole napoléonien, y perdra sa fortune et devra s’exiler en Suisse pour continuer à peindre jusqu’à sa mort.
FACE À FACE
La « Femme au podoscaphe » est confrontée à un boat-people chargé de migrants perdus dans une mer déchaînée, ramenant le spectateur à son actualité quotidienne. Face aux femmes enlacées du « Sommeil », il place des crocodiles aux formes sinueuses. Il peint des animaux agressifs, loups et tigres, souhaitant peut-être faire ressortir une certaine animalité dans l’âme humaine et répondant aux scènes de chasse de Gustave Courbet.
Pour préparer ses tableaux, on offrira à Yan Pei Ming l’accès à l’atelier de Courbet à Ornans récemment racheté et restauré par le département du Doubs. Il s’y sent bien et s’y installe de mars à juin 2019. Après l’exposition d’Ornans qui s’est terminée en septembre dernier, il poursuit sa confrontation aux œuvres de Courbet au Petit Palais à Paris jusqu’en janvier 2020. Il présente conjointement au Musée d’Orsay son « Enterrement à Shangaï » où il honore la mémoire de sa mère décédée l’an dernier et qui fait face au tableau de Courbet « Enterrement à Ornans ». Là aussi retour à la vie du peintre et à sa temporalité.

Ces face-à-face d’un artiste contemporain et d’un artiste éloigné de six générations nous font redécouvrir la peinture que l’on croyait classique. Grâce au regard sensible et renouvelé que Yan Pei Ming a posé sur elle.
Aujourd’hui au Petit Palais, jusqu’au 19 janvier 2020, exposition « Corps à corps »

écrit par Françoise Daudeville, le 3 novembre 2019
A REVOIR EMISSION DE FRANCE5 : https://www.france.tv/france-5/passage-des-arts/1094541-yan-pei-ming-de-ornans-a-shanghai.html